Les Petites Communautés Chrétiennes au Mozambique









Les Petites Communautés
Chrétiennes au Mozambique

José Luzia Gonçalves



C’est em 1975 qu’a été ordonnée prêtre et incardiné dans le diocèse de Nampula, au Mozambique, le père José Luzia Gonçalves, originaire du Portugal ; il y avait précédemment accompli un service missionnaire de deux ans. Expulsée la même année, il y revient en 1978 et participe à plusieurs services diocésains. Durant la guerre civile, il accompagne deux paroisse placées sous la responsabilité pastorale de laics. Il fonde la station diocésaine Radio Encontro. Revenu pour sept ans au Portugal, il regagne Nampula en 2011. Cet article est traduit du portugais.




Les Petites Communautés Chrétiennes (pcc) de l’Église catholique au Mozambique sont apparues, comme un fruit pour ainsi dire spontané, à la suite de l’indépendance du pays en 1975. Le contexte était caractérisé par deux événements importants. Sur le plan ecclésial, c’était la fin du concile Vatican II avec toute cette euphorie et cette effervescence de l’aggiornamento et des espoirs qu’il avait suscités. Sur le plan politique, c’était la lutte armée contre le régime colonial portugais puis l’indépendance qui en a résulté sous un régime de type marxiste-léniniste, avec les inévitables vicissitudes pour la vie de l’Église.


Le contexte ecclésial
De la chrétienté coloniale aux nouvelles communautés

Il faut tout d’abord savoir que le statut de l’Église catholique dans les colonies portugaises était régi par le Concordat de 1940 et par l’Accord missionnaire de 1941, tous deux signés entre le Gouvernement portugais et le Saint-Siège [1]. Les missionnaires se trouvaient engagés dans la « portugalisation » par la diffusion de la langue, de l'histoire et de la culture portugaises, surtout à partir des écoles-chapelles (appelées, dans le langage pastoral d’alors, cristandades) confiées à des professeurs-catéchistes. L´évidente ambiguïté de ces deux binômes – école-chapelle et professeur-catéchiste – se trouvait encore aggravée par deux autres à un niveau supérieur : Administration-Mission et Gouvernement-Église. Tout cela portait préjudice à l’image, à la mission et à la liberté de l’Église : avant et après l’indépendance du pays, on avait fini par l’accuser, à juste titre, d’être un support du colonialisme[2].


Manuel Vieira Pinto - Le visionnaire de Dieu

Avec l’arrivée de cet évêque à Nampula en 1967, l’impulsion renovatrice de l’Église du Mozambique progresse et s’organise. Parlant de son propre diocèse, il précise : « En 1968, à la lumière du Concile, nous avons commencé les premières réunions de pastorale et avons lancé les premières bases du changement qui s’imposait[3]. » Son intuition visionnaire fondatrice, non conformiste et rénovatrice, à la fois ad intra et ad extra, apparaît dans toutes ses interventions. Dans En route vers de nouvelles structures missionnaires (1969), dans Nous sommes à l’heure d’un tournant (1971), ainsi que dans d’autres interventions, il incite les agents pastoraux, prêtres ou non, à accueillir les enseignements conciliaires comme « dynamismes de l’action [4] ».

À partir de Lumen gentium et de Gaudium et spes, documents explicités dans le décret Ad gentes, il affirme : « Il est certain que le temps des chrétientés traditionnelles est révolu. […] L’activité missionnaire, si elle est authentique, devra faire naître et grandir des communautés qui vivent et manifestent la communion active et responsable, l’esprit de service fraternel, le témoignage du mystère du Christ ; des communautés pouvant ʺde cette manière […] devenir signe de la présence de Dieu dans le mondeʺ (ag 15) [5]. »

Au Conseil presbytéral, en guise d’exhortation et de clarification, il prévient : « Vous arrivez à un moment où l’Esprit de Dieu souffle avec violence et exige de tous les chrétiens – mais plus particulièrement de leurs évêques et de leurs prêtres – une disponibilité sans calculs ni tergiversations. Nous sommes en effet à un tournant et, à cause de cela, devant un défi[6]. »

Parmi d’autres caractéristiques de ce tournant il plaide pour « le passage d’une Église encore assez cléricale à une Église qui soit davantage Peuple de Dieu, plus adulte en parole et en actes ; une Église où chaque membre – prêtre, religieux ou laïc – ait conscience de sa dignité , de sa vocation et de sa coresponsabilité ; une Église où tous sentent qu’ils sont, de plein droit, Peuple de Dieu et fassent effectivement entendre leur voix pour dire leur accord ou leur désaccord, pour donner un avis, pour proclamer l’Évangile, construisant la communauté chrétienne et témoignant de la foi et de l’Amour ; une Église où tous aient la possibilité de parler et sachent le faire, où tous puissent écouter, en dépassant pour de bon ces « chrétientés traditionnelles » où la prise de parole est l’apanage des prêtres et l’écoute celui de ʺleurs chrétiensʺ [7] ».

Cette prise de conscience de se trouver à un tournant conduit à la création du Centre catéchétique Paul VI d’Anchilo, en s’appuyant sur un travail de pionnier réalisé par le père combonien Graciano Castellari. Le centre est inauguré en 1970 et devient le laboratoire et le cœur pastoral du diocèse, tant pour la formation des nouveaux animateurs que pour celle des missionnaires récemment arrivés. Telle est l’atmosphère d’effervescence pastorale à la fin d’époque coloniale ; elle va servir de berceau aux pcc en ces années marquées par l’accession à l’indépendance du pays, en 1975, sous la mouvance du Frelimo [8].


Le contexte politique

Pendant de nombreuses années, le marxisme-léninisme reste le paradigme du Frelimo tant dans le domaine politico-économique que social et, de façon toute particulière, dans le domaine religieux. Au niveau de la constitution, la liberté religieuse est reconnue ; mais, sans qu’on puisse parler de persécution religieuse ouvertement déclarée[9], le Frelimo pratique une constante obstruction [10].Un athéisme resolu est offiellement professé par l’État. Les critiques envers les institutions religieuses, sont virulentes et quotidiennes. L’Église catholique, en raison de son histoire récente de collaboration avec le gouvernement colonial dans le cadre de l’Accord missionnaire, est tout particulièrement visée.

Les années de l’euphorie révolutionnaire marxiste-léniniste, de 1975 à 1980, sont une périodo très trublée. Tout le monde a peur de se déclarer chrétien ; les fonctionnaires, et en particulier les professeurs, redoutent de perdre leur gagne-pain. On assiste à une grande dispersion des chrétiens. Les églises se vident, notamment dans les villes où se trouvent les gens les plus cultivés ou « évolués », ainsi que les anciens séminaristes. En fait, de chrétiens, il ne reste qu’une poignée de pauvres, vivant surtout dans les zones rurales. Certains d’entre eux se demandent qui est dans le vrai : le Frelimo ou l’Église ?

Alors, dans cette conjoncture, nous comprenons que nous avons affaire au vent purificateur de l’Esprit Saint. Le moment est venu de miser sur les pauvres, sur les sans-voix de ce monde. C’est l’heure de la Grâce ! Après un temps de dispersion et de désorientation, ces mêmes pauvres commencent à se réunir entre eux pour prier comme ils peuvent et comme ils savent le faire. Le vent politique qui les maltraite les rend moins timides, plus autonomes et plus conscients. La foi simple et populaire se fortifie. Peu à peu, à travers leur expérience, ils réalisent que pour eux l’heure est venue. Le courage de certains, des plus critiques face aux restrictions politiques, commence à avoir sur les voisins un effet rassembleur.


Un témoignage éloquent

Mieux vaut ici donner la parole à José Laica, le nouvel animateur intrépide des communautés de la paroisse de Nataleia [11]. De manière très simple, il montre bien comment l’Église des nouvelles communautés ministérielles est née de l’interaction entre trois facteurs : l’option conciliaire de l’Église locale sous le leadership de Mgr Vieira Pinto, la nouvelle façon de réagir des simples chrétiens et le contexte politique. Voici le récit de José Laica :

Le processus de fermeture de nos chapelles a commencé en 1976. Ils disaient : « Maintenant il est absolument interdit de prier ; nous ne voulons plus voir prier personne. » Pour prier, il fallait se cacher sous un arbre. Les professeurs menaçaient constamment. L’administrateur Mateus, un ancien combattant, fit une expédition pour capturer les chrétiens qui continuaient à prier. Mais, même avec ces menaces, les églises persévérèrent.

En septembre de cette même année 1976, nous avons résolu de construire une chapelle, mais à l’écart. L’administrateur a refusé. Nous nous sommes quand même réunis de nouveau et avons décidé de la construire sans rien dire. Quand il s’en est rendu compte il a commencé à nous menacer ; mais en vain. Nous sommes restés là à prier le chapelet. Ce n’était pas encore la Célébration de la Parole. En cette année 1976, beaucoup de chapelles furent fermées ; ce qui empêchait les gens de prier. Beaucoup ne tinrent pas le coup. Seules quatre communautés persévérèrent et continuèrent à prier le chapelet.

Les premiers ministères

En mars 1977, vinrent de Malema les frères Duarte Culete et Manuel Iuculaka qui avaient été formés au Centre d’Anchilo. Tout au long de cette année nous avons parlé avec eux. Ils nous ont convaincus que ne devions avoir ni peur ni honte ; ni non plus faire cas de ce qui pouvait se dire. Grâce à eux, nous avons reçu une force à travers l’illumination de l’Esprit Saint et nous avons senti que réellement nous pouvions tenir le coup. C’est alors qu’ils m’ont choisi pour être catéchiste. Il n’y avait pas encore d’« ancien ». La communauté a grandi. Petit à petit ceux qui s’étaient découragés ont commencé à nous rejoindre.

En cette même année 1977, le père Godinho, curé de la paroisse de Mutuàli à 90 km, vint nous rendre visite. Il nous dit que nous devions continuer avec la Parole de Dieu, que nous ne devions pas avoir peur ; que nous devions obéir aux ordres du gouvernement mais sans pour autant cesser de prier, ne pas nous en tenir aux bruits qui circulent.

En 1978, Duarte Culete nous a demandé de voir comment nous pourrions faire revivre notre paroisse de Nataleia. Nous avons élu un responsable pour être en contact avec Duarte Culete. À cette époque, il était « ancien » de la communauté de Xiline dans la paroisse voisine de Malema. Tous les chrétiens de la communauté dirent : « Nous nous avons confiance en José Laica, c’est lui qui mérite de coordonner le renouveau dans la paroisse ; c’est lui qui doit être le catéchiste des catéchistes. » Comme « ancien », nous avons élu Hilário Muaqueia. C’était la première élection d’« anciens ». C’était la première fois qu’on entendait ce mot.

On voit ainsi que les ministères et les divers types d’animateurs naissent à partir du dynamisme venant de la base. Duarte Culete, un « ancien » d’une communauté de la paroisse voisine de Malema, a eu un rôle de véritable leader dans la ré-animation et l’engendrement de toutes les communautés, tant dans sa paroisse de Malema que dans la paroisse voisine de Nataleia. C’est pour cela qu’en 1980 il sera institué « animateur » de la paroisse de Malema, avec les fonctions de curé, à l’image de quatre autres : Mutuáli, également dans le district de Malema, Marrere, Caramaja et Murrupula.

Croissance dans l’épreuve et par la formation des animateurs

Ce même jour, poursuit José Laica, le frère Culete nous apprit comment faire la célébration de la Parole de Dieu. Et c’est comme cela que nous avons commencé à reprendre vigueur, à voir le chemin ; c’était désormais le nouveau chemin ! Nous étions satisfaits. Nous commencions à être forts. […] En 1978 j’ai été choisi pour participer à un cours sur les Actes des Apôtres. J’ai continué à encourager les frères. Les églises qui étaient déjà mortes ont commencé à renaître.

C’étaient les premières communautés. Avec de nouveaux chrétiens ! Non plus les anciens mais de nouveaux chrétiens. Il y avait aussi beaucoup de catéchumènes. Les communautés commencèrent à ouvrir les yeux. Elles mûrirent à travers les menaces. La menace elle aussi a eu son effet ! Elle a fait se lever les personnes. L’administrateur a continué à frapper, à menacer avec force et dureté. Mais les chrétiens n’avaient plus peur. Aujourd’hui il y a vingt-trois communautés. Même avec la guerre, toutes les communautés fonctionnent. Elles ont seulement changé de lieu[12].

En 1979 on me choisit comme ancien de la paroisse de Nataleia. Seuls les chrétiens plus anciens, réunis dans la communauté de Xipaka, prirent part à l’élection. En tant qu’ancien je faisais le lien avec Duarte Culete. C’est lui qui était notre père. Il organisait et on débattait les questions avec lui. En cas de difficulté on l’appelait. Lui était en contact avec l’évêque. Alors les chrétiens de Nataleia-Centre reprirent vigueur. Carlos Wilson y fut élu comme ancien. Pendant les années 1978-1980 nous avons fréquenté les cours au centre d’Anchilo : anciens, catéchistes, mais aussi des femmes. Il y avait mon épouse, celle du catéchiste Arnaldo Riveque [13], la femme de celui de Xipaka ainsi que celle de l’ancien de la communauté de Xipaka-Nahipa.

Alors nous avons commencé à ouvrir les yeux ; personne ne pouvait plus nous tromper. C’était le moment d’ouvrir les yeux. Des activités ont commencé à s’organiser : tout d’abord la célébration de la Parole de Dieu, puis la catéchèse, l’aide fraternelle, etc. Cela signifie que les communautés grandissaient avec leurs ministères. Malgré la guerre toutes ont continué à fonctionner.

On voit ainsi qu’à la naissance de la nouvelle Église ministérielle de base, il y a eu ce souci de faire confiance aux animateurs, hommes ou femmes, qui émergeaient. Une formation adaptée leur était fournie au centre catéchétique Paul VI, à Anchilo, de manière à ce qu’ils puissent répondre aux besoins qui se présentaient avec le développement des communautés.

Le ministère l’aide fraternelle, ajoute encore José Laica, est celui qui s’est sans doute le moins développé, rencontrant davantage de difficultés en raison de la guerre qui ravageait les terres cultivables ; sur les terrains les plus fertiles, personne ne pouvait aller. Ce ministère de l’aide fraternelle consiste en effet en ce que les communautés font des plantations permettant de venir en aide aux malades et à toutes les personnes incapables de cultiver et de produire leur nourriture ; il faut bien les aider. Il y a aussi des coopératives agricoles, à l’initiative de la Caritas, qui sont autant de petits projets de développement. Certaines communautés, comme Xipaka, en comportent une douzaine ; d’autres, comme Nataleia, une quinzaine.


Une Église qui renaît au cœur du peuple...

D’après ce témoignage de José Laica, l’indépendance et les vicissitudes qui en ont résulté pour la vie de l’Église mozambicaine ont été vécues comme un « moment de Dieu ». Cela a été un temps de grâce avec une multiplication extraordinaire de pcc, à l’initiative de chrétiens très simples privés de la présence régulière des prêtres. La pépinière, qui avait commencé avec la création des centres catéchétiques de Beira (1967), de Nampula (1969) et de Guiúa-Inhambane (1972), donnait alors son fruit sur une terre et dans un contexte favorables. La nouvelle conscience ecclésiale qu’on y avait acquise devenait dès lors opérationnelle. Les ministères venaient à éclosion avec beaucoup de spontanéité et d’enthousiasme, accompagnés par les missionnaires.

Il ne fait aucun doute que, dans cet enfantement douloureux, c’était l’Église du Mozambique indépendant qui renaissait, décolonisée. En un bref laps de temps, la structure missionnaire que, durant tant d’années, nous avions été incapables de réformer, s’effondrait. Les professeurs-catéchistes, auxiliaires des prêtres, disparaissaient. Tout s’écroulait. Et tout renaissait sous le vent fécond du Frelimo, moteur de la décolonisation. Par la grâce de Dieu[14].

Le récit du regretté animateur, José Laica, rapporte de façon très claire le passionnant processus de genèse ecclésiale ayant permis la décolonisation et la renaissance d’une Église décléricalisée à Nampula ; c’est ce que nous recommande aujourd’hui le pape François avec tant d’insistance, jusque dans son discours aux évêques du Mozambique lors de leur récente visite ad limina. En cela aussi Mgr Vieira Pinto a été pionnier.

Dans tout le pays, le processus a été similaire. L’Église du Mozambique s’est réunie en « concile », lors de sa première Assemblée nationale de pastorale, à Beira en septembre 1977, pour recueillir ce que « l’Esprit dit aux Églises » et baliser le chemin à poursuivre. Elle s’est exprimée sur elle-même en des mots très simples mais pleins d’espérance et de conviction :

Dégagés d’une Église triomphaliste […] en vue d’une Église dépouillée et pauvre, […] soucieuse de son renouveau interne, nous avons conscience d’être en marche vers une Église de base et de communion, une Église-famille aux services réciproques librement offerts, une Église au cœur du peuple qui se l’approprie, insérée dans les réalités humaines et ferment de la société. Cela nous engage à redoubler d’efforts pour susciter, animer et développer la vie des petites communautés. L’accroissement de leur vitalité favorisera ainsi l’initiative et la responsabilité de tout le Peuple de Dieu dans l’édification de l’Église locale[15].



… et qui s’épanouit en divers services

Au milieu des multiples difficultés politiques qui ont persisté jusqu’au milieu des années quatre-vingts, cela a été un exercice d’authentique confiance en la puissance extraordinaire de l’Esprit présent et actif dans l’engagement d’une multitude d’hommes et de femmes, simples fidèles baptisés. Engagés de toutes leurs forces et capacités, avec simplicité et grande humilité, ils faisaient face aux défis quotidiens. Ils ont été les moteurs de la construction d’une Église-communion, participative, en complète rupture avec l’Église-consommation domestiquée et cléricale du régime de chrétienté coloniale, déterminés qu’ils étaient à faire passer la paroisse d’un stade de « station service » ou de « supermarché » à celui d’une communauté-de-communautés vivante et organique.

Une telle expérience de coresponsabilité – pour la survie d’une Église que beaucoup, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, jugeaient vouée à l’échec – s’est généralisée et a pénétré les esprits du plus grand au plus petit. L’Église en est ainsi venue à renaître au cœur du peuple qui l’a fait sienne. Elle est devenue conscience et exercice du sacerdoce baptismal qui, peu à peu, s’est épanoui dans la diversité des ministères au gré et au rythme de la vie des communautés.

Parmi ces ministères, on peut signaler les services de la coordination, de la présidence et de la communion fraternelle ; ils sont exercés par les « anciens » choisis par les communautés et confirmés par l’évêque ou les curés, selon le niveau de responsabilité. Il y a aussi les ministères liés au service de la Parole, que ce soit pour l’animation de la célébration dominicale ou pour la catéchèse tant des enfants que des adultes. Signalons encore le service de l’aide fraternelle, particulièrement attentif aux pauvres, aux malades, aux veuves et aux personnes âgées ; ainsi que le service « Justice et Paix » et celui du développement. Et il y a bien sûr aussi – en plus du service de la présidence – les divers autres ministères liturgiques : lecture, chants, accueil et funérailles.



Où en sommes-nous aujourd’hui ?

On peut dire que les concepts de base qui ont présidé, il y a quarante ans, à la genèse des pcc ministérielles subsistent jusqu’à aujourd’hui dans tous les diocèses. En témoigne le langage tant des pasteurs les plus qualifiés, évêques et prêtres, que du commun des chrétiens ; en témoigne aussi la participation des communautés au choix de ses ministres non ordonnés : anciens, catéchistes, animateurs paroissiaux et de zones, etc.

Malgré une croissance importante du nombre de prêtres diocésains au cours de ces quarante années d’indépendance, leur insuffisance numérique continue d’être un avantage. Grâce à Dieu ! Facteur apparemment négatif, cela freine en fait la tendance au cléricalisme, surtout chez les jeunes prêtres peu sensibles à la pastorale de coresponsabilité. Ainsi, les animateurs locaux, simples baptisés, ont un espace d’initiative propre, n’étant plus seulement les « auxiliaires » ou « suppléants » des prêtres. Personnellement je continue à être attentif à pratiquer ce que j’appelle la « pédagogie de l’absence », suscitant le sens de la responsabilité et de la créativité chez les animateurs locaux. En outre, même quand je suis présent, je m’oblige à respecter la présidence des anciens lors de la célébration de la Parole, leur faisant sentir qu’ils sont, de droit baptismal et non par suppléance, ministres de l’Église. En mes quarante années de ministère presbytéral, j’ai toujours appris à ne pas être le prêtre qui fait tout.

D’une manière générale, les gens aiment prendre part aux diverses tâches des communautés. De fait, il existe un sentiment d’appartenance. Cependant, nous n’arrivons pas à accompagner la multiplication des communautés de la formation qu’il faudrait comme gage de qualité, surtout en ce qui concerne les principaux ministères : célébrations, catéchèse, Justice et Paix. Cela continue d’être un énorme défi pour toutes les Églises locales.

Pour préserver les avantages des pcc dans certains contextes où la massification guette les paroisses, diverses expériences sont nées donnant lieu à la création de pcc de voisinage. À Maputo et à Nampula, on les appelle respectivement « noyaux » (núcleos) et « groupes » de prière. Ces communautés s’occupent aussi des services caritatifs et de l’accompagnement des familles. Cependant, bien qu’il s’agisse d’une option pastorale louable, apparaissent déjà des plaintes venant de personnes qui reprochent à cette structure de s’être endurcie avec des relents de pharisaïsme. Qui ne fréquente pas un groupe de prière pourra rencontrer des difficultés auprès du père curé quand, par exemple, il voudra faire baptiser ou confirmer ses enfants.


Des freins au dynamisme initial

Toutefois, le dynamisme spontané et créatif d’il y a quarante ans, tel que José Laica s’en est fait ci-dessus le témoin, ne s’est pas maintenu. Plusieurs facteurs ont contribué à cela. Tout d’abord, avec la fin du régime du parti unique, a disparu l’aiguillon d’un athéisme jouant un rôle salutaire de contradiction et de stimulation. On s’est installé dans une certaine facilité religieuse dépourvue d’inspiration prophétique. Comme le dit l’évêque de Nacala, Germano Grachane, « nous avons des communautés de païens baptisés ».

Ensuite, le concept de territorialité paroissiale, avec la fonction correspondante de clerc/curé pour en assurer la direction, a retiré à la communauté son statut de référence principale en ce qui concerne la genèse des ministères. En outre, les jeunes prêtres qui n’ont pas vécu les vicissitudes de l’époque de l’indépendance ne peuvent apprécier l’originalité pastorale de ces temps-là, n’ayant pas grandi, comme moi, avec les communautés naissantes. C’est ainsi qu’ils ont tendance à être des « chefs » paroissiaux plutôt que des « animateurs d’animateurs » intégrés à la vie du troupeau.

Un autre facteur négatif est que le Mozambique n’a pas échappé à la restauration catholique cléricale ayant envahi notre Église depuis l’époque de Jean-Paul II. La grande passivité des chrétiens ordinaires est encore évidente[16]. Le séminaire Saint-Pie X, unique séminaire de théologie du pays, est resté sous l’influence de deux forces. Il y a tout d’abord la romanisation, vu que la plupart des prêtres formateurs sont passés par les universités romaines. Ils restent davantage préoccupés par une fidélité théologique et canonique – cléricale – aux orientations de la curie vaticane, qu’imprégnés de la fraîcheur créative de leurs communautés ministérielles d’origine. Comme les politiques ont maintenant besoin d’un vernis religieux – malgré les réminiscences des tensions dues aux nationalisations des biens des missions – il y a, de part et d’autre, une certaine convergence d’intérêts conservateurs. La seconde force à l’œuvre est l’affirmation nationaliste. Comme attitude sous-jacente à l’aphorisme « maintenant, c’est nous », les prêtres deviennent la réplique des évêques qui, durant trente-quatre ans, n’ont permis la nomination d’aucun évêque qui ne fût noir mozambicain[17]. À l’autoritarisme typique du cléricalisme ancien se joint celui des traditions animistes du pouvoir africain. On ne peut pas dire que la deuxième et la troisième Assemblée nationale de pastorale aient vraiment été en harmonie avec l’esprit de la première, en septembre 1977.

Ces deux réalités, à mon sens, sont à l’origine de cette distance psychologique et affective qui sépare les nouveaux prêtres, surtout diocésains, du paradigme des pcc ministérielles. La nomination de quatre évêques étrangers vient créer des espaces de plus grande ouverture chez les nouveaux prêtres, plus réalistes et moins nationalistes, sans pour autant être moins patriotes ni moins authentiques sur le plan culturel. La réaffirmation conciliaire du pape François se reflètera dans le milieu presbytéral, en premier lieu dans les séminaires actuellement confiés à l’attention de l’évêque de Gurué, Francisco Lerma, l’un des principaux promoteurs des pcc depuis plus de quarante ans[18].


La célébration de l’eucharistie dans les communautés

Je ne pouvais pas manquer d’aborder ce délicat problème. Des milliers de communautés n’ont pas de célébration régulière de l’eucharistie. Dès l’aube de l’indépendance, en raison du petit nombre de prêtres célibataires, Mgr Vieira Pinto s’interrogeait : « Le temps n’est-il pas venu de penser sérieusement à l’ordination sacerdotale de chrétiens mariés, proposés et assumés par les communautés [19] ? » Mais je crois que lors de la dernière visite ad limina sous son pontificat, à la table du déjeuner, le pape Jean-Paul II a été catégorique : « Dom Manuel, on ne parle plus de cela ! ». Et Mgr Manuel, avec une profonde amertume, a dû se résoudre à ce que la multitude des communautés dont il avait suscité l’essor continue à se passer de la célébration du sacrement-source de l’Église.

Cette injustice appelle toujours instamment une solution. Le type de turbo-prêtre qu’on voit maintenant courir d’une communauté à l’autre, aussi louable que soit sa préoccupation pastorale, est une option trompeuse. Avec Mgr Lobinger [20], je me bats pour des solutions théologiquement et pastoralement plus cohérentes et plus justes.

José Luzia

* Publiée dans la revue SPIRITUS, nº 220, Paris, Septembre 2015


[1]    Cette situation a créé de fortes tensions, même à l’intérieur de l’Église. À la fin du régime colonial on a emprisonné puis expulsé des missionnaires de Beira et de Tete (1971-1973) puis l’évêque de Nampula et des prêtres comboniens (Pâques 1974). Sur ces événements, voir Cesare Bertulli, Croce et spada in Mozambico, Roma, Coines Edizioni, 1974 ; Anselmo Borges (introdução e notas), D. Manuel Vieira Pinto – Arcebispo de Nampula. Cristianismo : Política e Mística. Antologia, Porto, Edições ASA, 1992, p. 63, 79.
[2]    Voir Anselmo Borges, op. cit., p. 60-64 ; 76-77 ; 80.
[3]    Anselmo Borges, op. cit., p. 75.
[4]    Voir Manuel Vieira Pinto, A Caminho de novas estructuras missio-pastorais 1969, dans : http://arquidiocesedenampula.blogspot.com .
[5]    Voir Manuel Vieira Pinto, Das missões à Igreja local (Des missions à l’Église locale), 1972, dans : http://arquidiocesedenampula.blogspot.com .
[6]    Voir Manuel Vieira Pinto, Estamos numa hora de viragem, 1971, dans : http://arquidiocesedenampula.blogspot.com.
[7]    Ibidem.
[8]    Front de Libération du Mozambique : parti politique, fondé en 1962, qui déclencha en septembre de 1964 la guerre d’indépendance (n.d.l.r.)
[9]    Voir Manuel Vieira Pinto, Passado – Igreja – Futuro (Passé – Église - Futur), 1975, dans : http://arquidiocesedenampula.blogspot.com.
[10] Dans le seul diocèse de Nampula, cinq prêtres ont été expulsés, un a été rapatrié et douze ont été faits prisonniers ; voir Anselmo Borges, op. cit., p. 80-81.
[11] Je puise ces informations dans l’entretien réalisé en septembre 1988, lors de la visite du Pape Jean-Paul II au Mozambique, en pleine guerre civile. Dans José Luzia, A Igreja das Palhotas, Lisboa, CRC, 1989.
[12] Pendant la guerre civile, qui a pris fin en 1992, le pays a connu des mouvements de réfugiés vers les pays voisins et, à l’intérieur, des déplacements de milliers de personnes. Les communautés ainsi déplacées, vivant auprès de communautés d’accueil, ont maintenu leurs dénominations d’origine. Suite à l’accord de paix, elles sont retournées dans leurs lieux d’origine.
[13] Il s’agit du père du jeune Wilson Riveque, des Missionnaires de saint Jean-Baptiste, ordonné en 2011.
[14] Voir José Luzia, op. cit., (1989), p. 50.
[15] Voir José Luzia, op. cit., (1989), p. 73-79 ; Luciano da Costa Ferreira, Igreja Ministerial em Moçambique, Lisboa, p. 127 ; Anselmo Borges, op. cit., p. 81-83.
[16] Voir José Luzia, Uma Igreja de Todos e de Alguém, Prior Velho (Portugal), Paulinas, 2014, 3a edição, p. 130.
[17] Depuis 2009 ont été nommés quatre évêques d’origine étrangère ayant de fortes attaches avec le pays comme missionnaires : Mgr Élio Greselim (Lichinga, 2009, émérite en 2015); Mgr Francisco Lerma (Gurué, 2011) ; Mgr Claudio dalla Zuanna (Beira, 2012) ; Mgr Luiz Lisboa (Pemba, 2013). Un prêtre diocésain a dit à son évêque que ces nominations étaient une sage décision du Vatican. Heureusement, ces quatre évêques sont connus pour leur vision d’une « Église, Communauté de communautés ministérielles ».
[18] À partir d’une expérience très problématique, je suis resté sur l’impression que les prêtres ordonnés dans les différents diocèses du Mozambique durant ces quinze dernières années ne sont pas nombreux à connaître tous les documents de Vatican II.
[19] Voir Manuel Vieira Pinto, Passado – Igreja - Futuro, (Passé – Église - Futur) 1975, dans : http://arquidiocesedenampula.blogs/ Septembre 2015pot.com.
[20] Voir Fritz Lobinger et P. Zulehner, Padres para amanhã, São Paulo, Editora Paulus, 2007 (édition originale : Priests for tomorrow, Quezon City - Philippines, Claretian Publications, 2004) ; Fritz Lobinger, Equipes de ministros ordenados, São Paulo, Editora Paulus, 2009 (édition originale : Teams of elders, Quezon City - Philippines, Claretian Publications, 2007).